Cet été, nos beaux musées vont redoubler d’efforts pour être présents en ligne.
En effet, de nombreux “grands musées” nationaux doivent rester fermés pour éviter les déplacements importants du public. Et les “petits musées” à rayonnement local pourront rouvrir mais avec une capacité d’accueil réduite.
Le digital devient alors une solution de repli idéale pour faire vivre les collections à travers des dispositifs digitaux innovants et originaux.
Sur leurs réseaux sociaux, leur site Internet, leur newsletter, tous les canaux sont bons pour entretenir la flamme culturelle !
Très curieuse de savoir avant tout le monde ce qui se passera cet été, je suis allée poser la question à certaines institutions. Je peux donc vous présenter dans cet article des exemples de ce que 4 grands musées ont prévu pour cette saison digitale.
Mais avant de vous donner des exemples, j’aimerais partager avec vous 3 questions que je me suis posé face à ces pratiques émergentes.
Tout d’abord, est-ce la fin des musées ?
L’expression “la fin des musées” peut paraître dramatique, mais c’est pourtant bien celle qui avait été employée par Catherine Grenier en 2013 dans son livre intitulé “La fin des musées”.
Avait-elle déjà donc tout prédit ?
Non, elle n’avait pas vu dans sa boule de cristale l’apparition du covid-19.
En revanche, elle parlait déjà d’une mutation profonde du modèle muséal.
Un modèle qui tend de plus en plus à fusionner les problématiques de la conservation et des publics avec les enjeux politiques et économiques des musées. Ce qui a pour résultat de donner plus de pouvoir à la communication et au marketing.
Avec la crise du corona virus, et nos musées fermés, nous sommes en plein dans cette mutation muséale ! Qui n’ont d’autres choix que de survivre grâce à la communication.
De mon point de vue, je trouve génial que nos institutions aillent explorer de nouveaux horizons. Et vous, y voyez-vous la fin des musées tels que nous les connaissions ? Dites-le-moi en commentaire ! 🙂
Aurons-nous une relation toute nouvelle avec l’oeuvre d’art ?
Les musées s’approprient merveilleusement bien les nouveaux supports digitaux. Et nous, public, comment nous approprions-nous l’art à travers nos petits écrans ?
Malraux, dans Le Musée Imaginaire, disait en 1949 que les musées ont “imposé aux spectateurs une relation toute nouvelle avec l’œuvre d’art”. Et ce sont encore les musées qui, à l’air du tout numérique, créent une nouvelle manière de consommer l’art. Sur les réseaux sociaux, l’art devient un jeu, un moyen de partager ses valeurs, ses opinions. Il est devenu possible pour tout le monde de s’approprier une oeuvre, de la détourner, la déformer, en rire…
Grâce au digital, l’art transcende ses anciennes fonctions et devient plus facilement appropriable. Du moins c’est mon opinion ! Et cette période de confinement nous pousse à dépasser encore plus les limites et à inventer de nouvelles manières de parler d’art. C’est beau n’est-ce pas ?
Va-t-on perdre la qualité des programmations ?
A force de vouloir toujours tout dématérialiser, il est raisonnable de se demander si la qualité des discours associés aux oeuvres ne perd pas en qualité. Si les musées ne deviennent pas des cirques pour amuser la galerie (ou le feed instagram) ? C’est d’ailleurs ce que pensait Catherine Grenier (oui, c’est une de mes références préférées) :
« En se prêtant trop à une politique des loisirs et de l’Audimat, certains musées ont eux-mêmes fragilisé leur statut d’institution de référence, dont ils prennent conscience aujourd’hui qu’elle constitue leur meilleur garant”.
De mon point de vue, j’apprécie la diversification des discours autour de l’art et de son histoire. Si La Minute Culture nous parle d’histoire de l’art de manière rigolote sur Instagram, cela n’empêche pas la qualité de son discours (retrouvez son interview ici) ! Si les musées invitent leurs followers à détourner des oeuvres en déguisements, ils peuvent également demander à un Youtubeur expert de faire une analyse d’oeuvre plus sérieuse. En ligne, les Internautes sont les producteurs de contenu. Il est normal que le discours échappe donc aux institutions. Et c’est tant mieux !
Allez, je vous ai assez ennuyés avec mes réflexions. Sans plus attendre, voici des exemples de programmations digitales estivales imaginées par quelques-unes de nos belles institutions !
1 – Le MAC Lyon
Le MAC Lyon n’a pas attendu le covid pour fermer, puisqu’ils avaient déjà fermé pour travaux. Ils restent cependant un bel exemple de programmation digitale ! Pour cet été, voici donc ce qu’ils ont prévu :
40 visites virtuelles sur leur site web
Pour digitaliser son activité, le MAC a réuni près de 40 visites sur une seule page de leur site web. Une prouesse que vous retrouverez en cliquant ici.
Depuis le 19 mars : #OeuvreQuiFaitDuBien
Sur Twitter, Facebook et Instagram, le musée publie quotidiennement une #OeuvreQuiFaitDuBien.
Cette campagne a été lancée par un “thread*” sur Twitter.
Le musée lyonnais y met en lumière des œuvres de leur collection ou d’expositions passées, qui sont réconfortantes, amusantes, font écho à la situation, etc. Avec des clins d’œil réguliers à l’actualité. Comme par exemple une “envie de verdure” pour Antoine Catala, ou une “pénurie de farine” pour Lawrence Weiner…
Tous ces posts sont consultables sur Twitter
On commence cette série #OeuvreQuiFaitDuBien par le « Jardin synthétique à l’isolement » d’Antoine Catala. Un choix évident en cette période de #Confinementotal ! pic.twitter.com/yTdkfkQNlN
— MAC Lyon (@macLyon) March 19, 2020
La campagne #GestesDArtistes
Cette campagne destinée aux réseaux sociaux est constituée soit :
- d’images d’archives et anecdotes de liens tissés avec les artistes (visites d’ateliers, travail in situ, résidences…)
- de vidéos témoignages de cette période de confinement par de jeunes artistes en lien avec le MAC (David Posth-Kohler, Jenny Feal, Naomi Maury, Cédric Esturillo…)
Voir cette publication sur InstagramUne publication partagée par maclyon_officiel (@maclyon_officiel) le
Lancement d’une #CuratorBattle entre musées lyonnais
Sur le modèle anglo-saxon #CreepiestObjects initié aux UK par le Yorkshire Museum à la mi-avril, les musées lyonnais partagent à coup d’hashtags les oeuvres les plus terrifiantes / glauques de leurs collections sur les réseaux sociaux.
Ce qui est intéressant dans ces démarches, c’est vraiment la narration très adaptée au contexte du confinement et de la vie quotidienne. Tous les textes sont basés sur des ressources existantes (base collection, cartels et notices d’anciennes expositions, etc.) mais entièrement revisités avec un ton et une approche très spécifiques (cf. article Les 4 lois fondamentales du copywriting des musées).
Un dernier #CreepiestObject #ObjetLePlusEffrayant pour nous dans cette #CURATORBATTLE :
« Man Coming out of a Woman » de Robert Gober. Cette œuvre est un moulage en cire de deux fragments de corps imbriqués. Tout est dans le titre ! pic.twitter.com/RZwwUD3Az3— MAC Lyon (@macLyon) May 6, 2020
*Un thread est un format Twitter qui permet de publier plusieurs Tweets d’un seul coup. Cette “tempête de tweet” est la porte ouverte au format long sur le réseau.
2 – Le musée national de la Marine
Le musée national de la Marine a la double problématique de devoir faire vivre un musée parisien fermé pour travaux, et de devoir animer une communauté éparpillée dans toute la France avec ses musées des ports. “Petits” musées qui pourront eux accueillir à nouveau du public dès le mois de juin.
Voici donc ce qu’ils ont prévu :
Le rendez-vous « Restez à bord, la mer s’invite chez vous »
Le musée a initié ce programme pendant le confinement. Ils proposent chaque jour des rendez-vous sur leurs réseaux sociaux, pour tous les publics, autour de l’univers maritime.
Ce rendez-vous perdurera jusqu’au 27 juin. De quoi s’évader en bord de mer depuis notre canapé ! Le tout accessible ici.
Voir cette publication sur InstagramUne publication partagée par Musée national de la Marine (@museemarine_paris) le
Le 8 juin, pour la Journée mondiale de l’océan, un beau programme sur les réseaux sociaux
Le musée national de la Marine met en place pour la Journée mondiale de l’océan une programmation spéciale sur ses réseaux sociaux. Tout au long de la journée, sur ses pages Facebook, Twitter et Instagram, le musée partagera les “coups de coeur“ de ses équipes de conservation autour d’objets des collections, ainsi qu’un test de personnalité idéal pour prendre le large !
En participant à cet évènement mondial, le musée souhaite mettre à l’honneur l’océan dans toutes ses dimensions, en privilégiant une approche émotionnelle, visant à sensibiliser un large public à la préservation des ressources maritimes.
Par ailleurs, Vincent Campredon, Commissaire général de la Marine et Directeur du musée, prendra la parole dans le Live Opinion Internationale du 8 juin à 18h30, consacré aux enjeux de l’océan.
Une web-série estivale « Un été en mer »
Pour notre plus grand plaisir, le musée national de la Marine prépare également une web-série estivale « Un été en mer ». Une balade à la découverte de ses sites du littoral : Brest, Port-Louis, Rochefort et Toulon. Ces vidéos y évoqueront leur histoire et mettront en valeur leurs formidables collections.
3 – La Fondation Louis Vuitton
Vous l’avez sûrement remarqué, la Fondation Louis Vuitton a été hyperactive pendant le confinement. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter pour cet été !
Programme #FLVchezvous
La fondation a initié le programme #FLVchezvous depuis le 23 mars. Ce dispositif digital leur a permis de continuer à proposer du contenu à leur communauté, sur tous les réseaux sociaux, grâce à leurs archives vidéo.
Au programme :
– Le mercredi, un artiste de la Collection à l’honneur
– Le vendredi, un grand concert de musique qui s’est tenu dans l’Auditorium
– Le dimanche, une masterclasse de musique
De quoi passer un été sous le signe de la culture !
Voir cette publication sur InstagramUne publication partagée par Fondation Louis Vuitton (@fondationlv) le
Challenge #FLVchallenge Synesthesia
Vous n’avez pas pu passer à côté de tous ces détournements d’oeuvres sur les réseaux. Et la Fondation Louis Vuitton n’a pas manqué le coche ! Ils ont proposé à leur communauté de s’inspirer de l’univers d’artistes mis en avant chaque semaine pour créer : de la photo, de la danse, du dessin, des recettes de cuisine, etc.
Des personnalités extérieures à la FLV vont également se prêter au challenge cet été, pour produire un contenu exclusif.
C’est ce mélange des arts et des créations qui fera vivre le compte Instagram et la programmation digitale ces prochaines semaines.
Pour participer, il suffit de publier sur son compte un contenu (vidéo, dessin, photo…) inspiré par l’univers des artistes mis à l’honneur chaque semaine, avec le hashtag #FLVchallenge.
4 – Le CAPC, musée d’art contemporain de Bordeaux
Le CAPC pourra rouvrir ses portes dès le 27 juin, toujours en respectant les mesures de “déconfinement”.
Mais comme pour les autres institutions, leur programme dématérialisé continuera cet été !
Le programme vidéo “Le CAPC depuis chez vous”
En attendant la réouverture du musée, chaque mercredi en juin, vous pourrez découvrir ou revivre, depuis chez vous, des événements qui ont marqué l’actualité plus ou moins récente du CAPC. Pour voir ces enregistrements, c’est par ici.
L’Atelier BD pour le jeune public “Cadavre exquis avec Philippe Dupuy”
Toujours en attendant de pouvoir reprendre les ateliers au musée, le CAPC donne rendez-vous tous les mercredis aux “kids” de 7 à 11 ans. Cet atelier autour de la BD, gratuit, est à faire en famille, à distance, avec la complicité de Philippe Dupuy, dont le travail a été montré dans l’exposition Histoire de l’art cherche personnages… et qui a également illustré et commenté le livret de l’exposition. Pour participer, c’est par ici !
Conclusion
Nous sommes peut-être en train d’assister à un tournant de l’histoire des musées ? Qui dématérialisent une partie de leur programmation. Là où la médiation culturelle se faisaient in situ avant le confinement, je pense que ces nouvelles pratiques digitales vont perdurer dans le temps.
Cet été sera le théâtre de nombreuses initiatives pour faire vivre les collections, proposer du contenu ludique, engageant, éducatif et divertissant. Tous les styles se mélangent, que ce soit sur les réseaux sociaux, sur les newsletters et les sites Internet. Cet été, nous aurons des concerts, des web-séries, des challenges… à vous maintenant, chers lecteurs, de vous abonner à tous ces comptes et de suivre l’actualité digitale culturelle ! L’occasion pour certains de se mettre à Instagram et d’aller déambuler sur Youtube ?
2 réponses
Merci pour votre article ! Sur la nécessaire mutation des musées, le rapport de la mission « Musées du XXIe siècle » avait déjà livré en 2017 quelques conclusions et pistes de réflexion passionnantes : https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/Rapport-de-la-mission-Musees-du-XXIe-siecle2#:~:text=Le%20rapport%20de%20la%20mission,des%20Beaux%2DArts%20de%20Lyon.
Et merci pour cette référence que je n’avais pas, je la garde précieusement !